Quand commence le voyage?

Commence-t-il lorsque l’idée germe ? Rêve, espoir de lycéenne, sans savoir encore si il se concrétisera un jour, si la vie laissera faire, mais en sachant qu’on fera tout pour cela.

Commence-t-il lorsqu’on y pense ?
Lorsqu’on en parle pour la première fois ?
Lorsqu’on rencontre son compagnon de voyage ?

Commence-t-il lorsque, bien éloignés du rêve, on empile les pièces justificatives, les dossiers à photocopier, les courriers avec accusé de réception ou bien lorsqu’un beau jour, émergeant des méandres de l’administration où elle s’était perdue, nous parvient, enfin, la réponse qu’on attendait, qu’on espérait.

Ce jour là (comment ne pas m’en souvenir?), j’étais dans un port. Le ciel était bêtement bleu, on sentait le vent. Grâce à Damien, je me préparais à passer ma journée au milieu des vagues et de mes coéquipiers du moment. J’avais passé la nuit chez une amie, la ville était encore tranquille, le matin semblait beau.

C’est par hasard, je crois, que j’écris aujourd’hui, assise à quelques mètres du ponton où, sur le quai gauche du vieux-port de Marseille, une voix de femme m’a appris, in extremis, quelques minutes avant l’embarquement, quelques heures avant la fermeture estivale du rectorat, que je partirai. Que nous partirions. Que ça devenait possible.

C’est peut-être bien là qu’a commencé le voyage.

A moins que ce ne soit quand le compte à rebours a commencé, étalé mois par mois sur un tableau blanc. Ou bien quand on nous a questionné sur ce projet, qui semblait toujours beaucoup plus fou aux autres qu’à nous mêmes, nous forçant à trouver des réponses à leurs questions. 

Serait-ce quand les cartons ont commencé ? Quand le premier objet a été vendu ? Quand nous avons fait nos vaccins ? Quand nous avons trouvé notre itinéraire définitif ? Quand nous avons enfin acheté nos billets? Envoyé notre préavis ? Commencé à nous renseigner davantage sur les pays jusque là admirés de loin? Quand j’ai ouvert le guide de l’Indonésie ? Quand nous avons acheté nos sac-à-dos ? Quand nous nous sommes mis d’accord sur notre projet ? Quand nous avons listé tous les noms possibles pour ce site ? Lu les listes de matériel éprouvé par nos prédécesseurs ? Trouvé un endroit où entreposer les bouts de vie à garder pour notre retour ? Est-ce qu’il commencera le 2 février avec notre année de vacances?

Peut-être que ce voyage a réellement commencé un soir sans date, en tous points semblables aux autres, par la prise de conscience que, dans quelques mois, nous n’aurons plus de chat noir à caresser sur les genoux.

Oui, c’est aussi là que commence le voyage, avec le temps des au-revoir et l’enfilade des dernières fois… Quand on essaie de graver, de savourer, de ressentir, de profiter de ce qu’on a; de ce qu’on a mis en jeu, de ce qu’on va perdre, volontairement, provisoirement, peut-être.

Je ne crains pas ce que je vais vivre, là-bas, mais oui, bien sûr, j’ai peur de ce que je vais manquer ici, parce que je ne sais pas, quand je les quitte, si l’un d’eux manquera au retour. 

Peut-être que c’est lorsqu’on réalise cela que commence le voyage. Peut-être qu’il faut être prêt à perdre.

Bien sur, dans quelques mois, je serai surement convaincue que notre voyage commence le 10 février 2017, à l’aube, quand écrasés contre nos sièges, main dans la main, notre avion se jettera dans le ciel pour ne pas finir dans la mer au bout de cette piste qui n’est qu’un quai de plus, s’arrachera à la gravité, à la pesanteur du quotidien, à la douceur abrutissant des habitudes, aux modes de vie de l’occident, à nos proches.

Mais je sais aussi, au fond de moi, qu’il a commencé bien avant, avec la soif de voyage transmise par mes parents. Parce que chaque voyage en appelle un autre.

Eternellement.


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