Dès 7 heures, que nous dormions à poings fermés dans un lit  ou que, comme un jour sur trois, nous débarquions d’un bus de nuit , les rues péruvienne nous réveillent. Bruyantes, pleines de klaxons, de crissements de frein et de pneus, de cris de vendeurs et de rabatteurs, le message est clair: grasses mat’ interdites.  Même le camion poubelle signale sa présence à grands coups de haut-parleurs, toute musique dehors.

Nous retrouvons l’agitation de l’Asie, en plus agressif. Premier taxi à Lima : premier  accident… La conduite est telle que même la préposée à la circulation n’ a pu trancher le problème. Ici un coup de klaxon n’a qu’un seul sens : “je passe!”

 

Rappel de l’Asie également dans les dizaines de carrioles des marchands ambulants, les vélos et scooters harnachés à de lourds chargements, le balai des triporteurs et taxis, les marchés qui débordent sur les trottoirs entre deux cireurs de chaussures et de vrais aveugles qui chantent faux.

Profusion de fruits. Chaque jour, Joël et moi nous octroyons un jus de fruits frais dans la rue pour un sol (0,20 €), même prix pour une tranche d’ananas, de papaye ou une barquette de fraises.

La rue, nous n’avons pas encore eu le courage d’y manger… Il faut dire que la cuisine n’est pas vraiment le point fort du coin. Au menu, Chicharron : cochon revenu dans sa graisse, viande d’alpaga, de bœuf, poulet ou poisson frit ( variante : pané PLUS frit), le tout accompagné de riz ET de patates ( frites). Côté légumes, à part les trois ou quatre qui flottent dans les bouillons c’est maïs, pois, lentilles… Que du léger! Heureusement grâce à la mondialisation, on trouve aussi des pizzas et des hamburgers…

Côté douceurs, charrettes de pop-corn, churros, mousse de blancs d’oeufs sucrés, gâteaux de pâte de maïs, quand les vendeurs ne déambulent pas carrément plateau à la main chargé de gelées colorées ou d’énormes parts de “tortas” (toujours appétissantes souvent décevantes : génoise plus crème plus crème.)

C’est la première fois que j’ai faim et mal au cœur en même temps.

Pas de repas de rue, donc, puisque tous les restos proposent un menu du midi pour deux à trois euros. C’est l’avantage de ne pas avoir de cantine ! Ce n’est pas le summum du raffinement mais impossible d’y mourir de faim  vues les rations distribuées , sans commune mesure avec le format des Péruviens eux-mêmes.

On distingue vite ceux des villes de ceux des champs, ces derniers sortant à peu près tous du même moule : petit et compact. Et si ça ne suffisait pas on peut les reconnaître au chapeau (différent pour chaque village), aux deux longues tresses et au tissu bariolé dans le dos qui sert indifféremment à ranger des marchandises, des brebis ou des bébés. Les latines ont dans l’ensemble des formes très généreuses et elles n’hésitent pas à s’en servir… ( Hé non! Pas de photos pour l’illustrer!)

On croise aussi, pas mal de vigiles, des policiers tout équipés qui tiennent les murs, l’homme qui vous pèse pour 0,50 €, quelques fous, de vieilles sorcières à la Miyazaki, sans oublier les chiens étalés un peu partout.

 

Vers 13 heures alors que nous nous promenons dans tout cela, c’est la première ruée vers le (de)hors. Ribambelle d’enfants aux uniformes tous plus ternes les uns que les autres. C’est la fournée du matin ! Le deuxième lâcher d’élèves déboule à son tour vers 18 heures. Les uns comme les autres se ruent sur les carrioles judicieusement déplacées pour l’occasion. À un sol la portion de tout, les gamins se font plaisir. Dans 10 ans, ce sera autour des industries Pharma ayant investi dans le diabète.

18 heures :

L’heure de la messe. En suivant une rue, toujours droite, on finit invariablement par tomber sur une église. Mais c’est surtout l’heure de la promenade. La rue ne désemplit plus de gens qui ne vont nulle part. Bandes de jeunes filles ou de petits garçons, bandes mixtes plus âgées ou amoureux minaudants, collègue qui discutent, pères et mères avec de jeunes enfants, brochettes de vieux sur les bancs… Jusqu’à 11 heures passées, même en semaine, même avec un froid de neige, il y a du monde dans la rue. Et tant qu’il y a des passants, il y a des vendeuses qui s’occupent en tricotant, assises par terre sur leurs couvertures pour écouler leurs stocks. Friandises, herbes séchées, bonnet et gants, balais, miroirs…

On se promène, on entend des cris, on s’approche, on tombe sur des musiciens, des danseurs, des manifestations suivies par les policiers comme s’ils étaient du cortège, des festivals de poésie, des rassemblements pour la justice… De jour comme de nuit, la rue est vivante, pleine de surprises. On pourrait croire que tout le Pérou est là et s’en contenter, ce serait oublier tout ce qui demeure caché, loin du bruit, de la foule, de la rue, dans les jardins et les cours intérieures qui semblent nous inviter à entrer quand, par chance, la porte est restée ouverte.