Tu veux être un voyageur. Tu es un touriste. Donc tu as de l’argent. Si tu en as, la preuve tu es venu en avion ! Facteur aggravant, tu es blanc. Donc tu en as vraiment beaucoup.

Tu es un touriste et tu n’as pas accès à l’information. D’abord parce que tu ne parles ni ne lis l’indonésien ensuite parce qu’il n’y a pas de lieux public et gratuit pour y accéder.

Le but du jeu est simple : pour toi, c’est d’essayer de payer à peu près le vrai prix, pas le prix local, quand jusque là. Pour eux, c’est de te faire raquer au maximum. Chaque camp a ses techniques et il n’y a pas de règles.

Quand tu te promènes dans la rue, n’hésite pas à répondre et à entamer le dialogue avec ceux qui t’abordent mais ne t’arrête pas. La phrase en français n’est qu’une technique d’accroche et il n’y a pas d’exposition gratuite de batik à l’étage où on essaye de t’emmener.

N’hésite pas à apprendre les bonnes phrases pour répondre à ceux qui te demandent où tu vas, ce que tu vas visiter demain. Ce ne sont pas des signes d’intérêt envers toi, enfin si, mais uniquement parce que ce sont des chauffeurs qui te les posent. “Jalan, jalan”: je me promène, ou son équivalent Yogjakartien “M’laco, m’laco!” se révèlent efficaces et font sourire les chauffeurs.

En ville, privilégie les taxis (mais pas les roses). Tu n’es pas en mesure de comprendre le réseau de bus et c’est le seul moyen de transport qui dispose d’un compteur. Sauf quand le chauffeur refuse de le mettre parce que vous êtes cinq, parce qu’il fait nuit, parce qu’il fait trop humide, parce que tu ne vas pas assez loin pour que ça l’intéresse, parce que c’est les vacances, parce que tu vas trop loin pour que ça l’intéresse, parce que le gérant de ton hôtel lui a dit qu’il y avait du fric à se faire, parce que la compagnie de taxis roses vous boycotte, parce que tu es un touriste blanc.

Si tu achètes à manger dans la rue demande bien le prix avant et montre que tu parles un minimum le bahasa indonesia.

Si tu achètes quelque chose, négocie. Négocie la chambre, le ticket de bus, le trajet en bémo, le plat de Nasi goreng, les babioles souvenirs. Négocie bien. Ton objectif est de diviser le prix initial par deux ou trois. Seuls les plus petits vendeurs, ceux qui ne vendent qu’aux locaux, te donnent le prix normal. Les plus pauvres quoi… Généralement quand cela arrive tu es tellement heureux que tu leur achètes beaucoup plus que prévu.

Pour les autres, tu te retrouves vite à exercer ce qui semble être la clé immorale de tout succès commercial : FAIS AUX AUTRES CE QU’ILS VONT TE FAIRE.

Au cours de la négociation, toi aussi, tu vas tricher et mentir. Comme eux, tu vas parfois faire semblant de ne pas comprendre, comme eux, tu ne vas pas répondre à certaines questions, comme eux, tu vas faire comme si tu n’étais qu’à demi intéressé pour voir jusqu’où l’autre peut descendre. Ne culpabilise pas trop, si ton interlocuteur accepte de vendre c’est qu’il y trouve sa marge.

C’est fatiguant, c’est usant, c’est déprimant et énervant aussi quand tu sais que l’autre te prend pour un con, quand le van sélectionné la veille s’est transformé en break trop petit (systématiquement) au moment du départ, quand le retour est plus cher que l’aller, quand un chauffeur te ment sur la distance alors que tu as Map’s me sous les yeux, quand l’enfant qui te donne une fleur te réclame de l’argent, quand des chauffeurs de vans privés t’empêchent carrément de parler au chauffeur du bémo public et l’obligent à s’éloigner, quand un parasite s’incruste dans tes conversations pour pousser l’autre à augmenter son prix et récupérer une marge confortable. Les intermédiaires : fuis-les comme la peste ils sont encore plus tenaces qu’elle ! Quand le mec avec qui tu as négocié 200 000 te demande à l’arrivée 600 000 (le parasite est passé par là…), quand la sortie du temple, encombrée de « produits typiques », est plus difficile à trouver qu’à Ikea.

Si tu ne veux pas négocier et que tu n’es pas dans un tour organisé (c’est-à-dire négocié à l’avance) tu es foutu. Ou très riche. Enfin pour l’instant.

Parfois, tu te retrouves dans des situations où tu n’as pas le choix. S’ils le savent, tu peux être sûr que c’est fini. Car comme tu es un touriste, il y a des choses que tu veux voir, des incontournables, tu es venu pour cela.

Tu as réservé un hébergement sur l’île en face, qui n’est qu’à 10 minutes en bateau, 12 000roupies avec le ferry public parti une heure plus tôt, le conducteur sait qu’il peut te demander 100 000 rp chacun. Tu n’as pas le choix, tu paies. Quand on sait qu’un sculpteur sur bois gagne 70 000 roupies en une journée de travail ça fait mal au cul.

Arrivé devant la grille du parc national qui est à 150 000 au lieu des 100 000 annoncées parce que “c’est les vacances”, tu paies. Ici, même la nature est payante.

Tu t’es levé à 3h du matin pour aller voir le lever de soleil sur le mont Bromo, on t’annonce que le prix d’entrée pour les touristes est de 320 000 (32 000 pour les locaux) au lieu de 220 000 parce que “c’est les vacances!”  et tu as déjà payé 500 000 le 4×4 qui doit t’y amener, tu as sérieusement les boules mais tu paies.

Tu payes sans savoir que tu vas te retrouver dans un embouteillage de 4×4 et finir les derniers kilomètres en te frayant un passage au milieu des touristes javanais et des motos taxis klaxonnants et polluants qui ont senti le filon. Il est 4h du matin, rappelons-le.

Alors quand un guide te propose ses services à 150 000 roupies de l’heure pour la visite de Borobudur, que tu as déjà payé 700 000 roupies pour une voiture et 500 000 roupies chacun pour les temples, tu lui expliques que même si ” tu ne vas faire ça qu’une seule fois dans ta vie.” (Ça c’est son argument, c’est  clair qu’on risque pas de revenir…) tu ne paies pas. Tu essaies aussi d’expliquer que si les billets étaient à des prix plus raisonnables ( c’est trois fois plus cher qu’Angkor Wat tout de même) tu l’aurais très volontiers payé lui plutôt que le parc qui va utiliser cet argent pour la restauration, certes, mais aussi pour le circuit du petit train et l’enclos des biches… Comme tu es vieux jeu, à la différence des touristes locaux, tu ne trouves pas cela très utile.

Le pire, si on peut dire, c’est que souvent une fois arrivé c’est tellement beau que tu oublies tout et que tu es content quand même. Tu ne le referais pas mais tu ne peux pas aller jusqu’à regretter de l’avoir fait. Et puis ce serait trop dur à admettre.

Il y a une autre catégorie de personnes qui essaie de t’attraper. Ils sont plus sympas, ils ne te demandent pas d’argent mais ils sont presque aussi nombreux que les commerciaux et peuvent donc devenir pesants : les touristes javanais.

Il faut savoir que les javanais n’ont qu’une seule semaine de vacances, pour eux tes cinq semaines de vacances c’est cinq ans de travail sans repos et les congés sans soldes sont une utopie lointaine. Ne parlons pas d’une année entière ! Il faut aussi savoir qu’ils l’ont tous en même temps (à savoir pile en même temps que nous sinon y a pas de challenge.) et en profitent pour visiter leur île (moment de hausse substantielle des prix, un cadeau commercial est un oxymore). Comme chez nous c’est le moment où les bus, trains et avions sont pris d’assaut et rapidement complets. Beaucoup viennent des campagnes, des petites villes, bref d’endroits où il n’y a pas d’occidentaux, on n’est pas à Bali ici !

Ils sont dans leur pays, ça ne veut pas dire pour autant qu’ils le respectent, pas  de la façon dont on l’entend en tout cas. Les hauts lieux du patrimoine sont surtout pour eux the place to be pour les selfies. Mais après tout, que peut faire un touriste sinon prendre des photos ?

Le premier jour, en haut du mont Bromo, la première fois, tu es surpris et un peu flatté quand l’un deux vient te demander un selfie. Tu te rends vite compte que si tu dis oui c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres mais d’un côté, tu es poli et de l’autre, toi aussi parfois tu prends les gens en photo. Ne mens pas ! Finalement tu mets 20 minutes à finir ta tartine mais tu as rencontré plus de locaux qu’en une soirée karaoké.

Quelques jours plus tard, à Borobudur, tu as pris le pli de ralentir sans t’arrêter tout à fait quand tu observes une sculpture histoire de ne pas être abordé à tout bout de champ. Tu fais un peu la gueule malgré le sourire automatique quand quelqu’un vient se coller à toi sans même dire bonjour ou te tire par le bras pour te kidnapper lors d’une séance photo. Pour finir, tu deales ton image contre un mot indonésien nouveau histoire qu’il y aie un minimum d’échange.

Difficile de dire si tu as pris plus de photos que tu n’en as données…

Bref, tu es un touriste, tu es blanc, tu es en vacances, tu es venu là volontairement, alors franchement, de quoi tu te plains ?